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2.1  Limites du processus

Si ces différentes réalisations démontrent la viabilité de la méthode biomimétique,  elles présupposent cependant certaines conditions, qu’il n’est pas toujours évident de réunir. En effet, leur apparente évidence ou le simple bon sens qu’ils semblent impliquer, nécessite en amont plusieurs validations. 

 

En pratique, la relation entre biomimétisme et durabilité est loin d’être évidente, c'est le cas dans le domaine  technologique. Si le biomimétisme est aujourd’hui présenté par certaines entreprises et associations comme une méthode d’innovation de « rupture » dans le contexte de l’économie verte, nous verrons qu’il est nécessaire de ne le  considérer que comme un outil parmi d’autres. En effet, à l’heure actuelle, il est encore très difficile de conclure quant aux bienfaits éthiques, environnementaux, économiques, ou encore sociaux du biomimétisme, à la fois par manque de données (peu d’analyses de cycle de vie de produits biomimétiques ont été réalisées) et par manque de transparence des entreprises commercialisant de tels produits. Quelques écueils sont ainsi à éviter lorsque l’on tente de concilier biomimétisme et durabilité.

 

 

A- LIMITE ETHIQUE : S’INSPIRER EN MANIPULANT :

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 Sous couvert de biomimétisme se pratiquent parfois des méthodes contraires aux grands principes du vivant, bien qu’elles présentent des avantages environnementaux.

En effet, la fonction première du système imité peut avoir été détournée.

Ainsi, les algues artificielles captant l’énergie des vagues produisent de l’électricité propre non pas car les algues en produisent naturellement, mais parce que les ingénieurs ont eu l’idée de s’inspirer de leur structure pour développer une nouvelle fonction. Il s’agit ici de bio-inspiration. L’éco-conception peut aussi être une manière d’améliorer l’impact environnemental d’un produit biomimétique, mais cette approche n’est pas toujours tirée d’une leçon du vivant.

Jusqu’où manipuler le vivant ? Peut-on aller jusqu’à modifier les bases de la nature ?

Le problème se pose dans le cas des technologies biomimétiques faisant appel au génie génétique.

Ainsi, afin de produire de la soie d'araignée, un matériau aux propriétés fabuleuses, on a réussi à modifier génétiquement des chèvres en leur transférant le gène approprié de l'araignée pour que leur lait contienne la protéine des fils d’araignées. Les araignées et les chèvres font pourtant partie d'espèces très éloignées !

Analysons cette expérience réalisée dans le cadre de recherches biomimétiques :La soie produite par les araignées est l’un des matériaux naturels les plus résistants connus au monde.

Les chercheurs tentent d’utiliser la protéine à l’origine de la résistance de cette soie pour créer des gilets pare-balles. Pour cela, ils ont dépassé les limites du biomimétisme en travaillant sur la protéine constituant la matière produite par l’araignée. Ils ont eu recours à la modification génétique d’une chèvre afin que celle-ci produise du lait contenant la dite protéine. Cela leur a permis d’étudier les propriétés et le comportement de la protéine. Ainsi les scientifiques ont finalement créé un matériau flexible et résistant permettant la fabrication de tissus presque aussi performant qu’un gilet pare-balle.                                                       

Demain, grâce au génie génétique, certains espèrent transformer les bactéries en véritables usines, leur faisant produire en masse des substances chimiques telles que des colorants, des molécules thérapeutiques ou des biocarburants…                                                     

 

Les chercheurs en biomimétisme s’efforcent de trouver les matériaux et mécanismes de la nature les plus susceptibles de convenir aux besoins de l’homme.

Dans un avenir proche, l’un des grands enjeux des scientifiques sera de faire réaliser de nouvelles chimies aux êtres vivants : utiliser leur énergie, les molécules qu’ils ont à disposition, pour remplir d’autres fonctions que celles que la nature à prévues pour eux. Il "suffit" pour cela d’introduire dans leur génome un ou plusieurs gènes réalisant ces fonctions.

Par exemple, les chercheurs ont réalisé des souris de laboratoires fluorescentes en introduisant dans leur ADN le gène de la fluorescence présent chez une méduse.

Ils ont aussi reproduit l’expérience avec un lapin:

Ceci est un cas qui amène un questionnement sur l’éthique des modifications génétiques: jusqu'où peut-on manipuler le vivant ?

 

En réalisant ces modifications génétiques, le biomimétisme va beaucoup plus loin que l’imitation purement formelle pour se concentrer sur la structure, la fabrication, la stratégie du vivant.

Ces possibilités quasi infinies brouillent les frontières du vivant et exposent l'Homme à certains dangers, dans le cas d'expériences mal contrôlées qui pourraient être lourdes de conséquences…

 

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B- LIMITE ENVIRONNEMENTALE : ET LE DÉVELOPPEMENT DURABLE ?

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Seront considérées ici comme innovations durables, dans le plein sens du mot, des innovations respectueuses de l’environnement mais également créatrices de richesses économiques et d’emploi. Elles demandent pour cadre une société soucieuse du développement et de l’épanouissement humains, mettant en œuvre ses engagements tant en interne qu’à l’international.

Par exemple, les innovations permettant des améliorations à la marge de l’impact environnemental de technologies existantes sans remettre en cause leur existence (ex : injecteurs d’essence plus efficaces dans le secteur automobile)…

 

Ainsi, pour l’instant, on ne peut pas réellement parler de durabilité environnementale. L’étude réalisée en 2012 sur l’apport du biomimétisme à l’économie verte envisageait déjà la durabilité au regard de l’environnement comme un enjeu central.

Le terme « biomimicry » a été inventé avec l’ambition de fédérer toutes les démarches

bio-inspirées afin qu’elles produisent des innovations durables. Or, à ce stade, les techniques et les procédés imités de la nature ne remplissent pas systématiquement cette condition.

Force est de constater que par manque d’informations sur les produits ou procédés techniques, et les matières imitant ou reproduisant la nature, il est difficile de confirmer que toutes les innovations décrites ou se revendiquant comme du biomimétisme le sont véritablement, au sens de la durabilité environnementale. Le manque de données fiables est donc un  obstacle au développement du biomimétisme, notamment parce qu’il existe peu d’analyses du cycle de vie de ces produits.

Une démarche qui ambitionne d’aider la société à avancer sur la voie de la transition  énergétique et écologique se doit bien évidemment d’être aussi vertueuse qu’il est possible de l’être, compte tenu de nos connaissances et des techniques actuelles, sur le plan  environnemental.

 

C- LIMITE SOCIÉTALE : SÉLECTIONNER MAIS ADAPTER

 

 

Isoler et imiter d’un être vivant peut s’avérer intéressant afin de réaliser une fonction nouvelle en matière technologique, mais ne permet pas toujours de s’affranchir des problèmes posés par sa reconstitution artificielle.

C’est en réalité l’écomimétisme.

En effet, le biomimétisme ne consiste pas seulement à copier la nature mais parfois juste à s'inspirer de ses réalisations pour élaborer des produits et des matériaux adaptés aux besoins humains.

Par exemple, le principe actif du saule (salicyline), bien qu'il ait de vertus antipyrétiques et antalgiques, est toxique. Il a donc fallu le modifier afin d'obtenir l'acide acétylsalicylique, mieux toléré par l'estomac.

Par ailleurs, certains phénomènes existants dans la nature sont très difficiles, voire impossibles à reproduire par l'Homme.

Pour illustrer cette limite, prenons encore l'exemple de la toile d'araignée.  Le fil produit par l'araignée est connu pour ses propriétés : il est cinq fois plus résistant que l'acier, deux fois plus souple que le nylon, extensible et léger. Cependant, les chercheurs n'ont jamais réussi à reproduire cette matière, ni à en produire en quantités industrielles (du fait du caractère solitaire et cannibale des araignées). On disait donc qu’afin de contourner ce problème, des chercheurs ont réussi à isoler un gène responsable de la production de cette soie, puis l'ont transféré dans les noyaux des cellules de chèvres (production de lait contenant ces protéines). Toutefois, le fil obtenu n'est pas encore capable de soutenir la même masse qu'un fil d'araignée de même diamètre.

Pour revenir sur les combinaisons de natations qui furent inspirées de la peau de requin, elles sont actuellement les plus utilisées. Cependant, ces combinaisons présentent quelques défauts, elles sont notamment très fragiles et très délicates, donc peu utilisables. A l’inverse de la peau de requin, elles ne durent pas éternellement. De plus, la fine couche de téflon ne résiste qu’à une quinzaine de courses, après ce seuil, elles n'offrent plus les mêmes caractéristiques. A noter également que certaines combinaisons inspirées de la peau de requin ont été interdites pas la Fédération Internationale de Natation (FINA), celles-ci améliorant trop les performances (certains records ont été battus de plus de dix secondes !) et ne laissant qu'une faible importance à la puissance du nageur.

Quant à elle, la morphine est aussi une inspiration de la nature très limitée, notamment connue pour ses propriétés extrêmement addictives, certaines personnes voulant "bien se sentir" et ne plus ressentir quelconque douleur. Elle est donc considérée comme une drogue si utilisée à mauvais escient. Tout abus ou utilisation non prescrite par un médecin qualifiée est donc dangereuse pouvant entraîner la hausse du taux de cholestérol et l'hypertension, voire le décès, des overdoses sont fréquentes. Il ne faut pas abuser de la nature.

Il faut enfin rappeler que le biomimétisme trouve aussi une source d’inspiration dans l’observation des schémas d’organisation du vivant, pour tenter d’en appliquer le modèle aux activités humaines. (Voir A)Définition ; 2.Biomimétisme et Structures). Il s’agit d’une forme d’innovation.

Ainsi, des démarches prometteuses, comme l’économie circulaire ou encore l’écologie industrielle, prennent pour partie leur source dans l’observation des schémas d’organisation du vivant. Elles tendent à appliquer ces modèles aux activités humaines pour résoudre des problèmes qui sont à la fois économiques et environnementaux.

Si la bio-inspiration nous offre donc des pistes de réflexion précieuses quant à l’amélioration de nos organisations, son impact sur nos sociétés humaines ne doit pas pour autant être systématiquement pensé comme durable et nécessairement positif.

Il est commun de désigner l’organisation «  sociale  » d’une ruche et des abeilles qui la peuplent comme un modèle pertinent d’efficacité - voire même d’ordre - qu’il serait bon d’imiter, alors même qu’il s’apparenterait à une société de type totalitariste s’il était exactement calqué à notre monde. Certaines «  utopies  » ont d’ailleurs tenté, d’autres pourraient l’être encore, de transposer aux sociétés humaines les hiérarchies et la division du travail propres aux insectes que l’entomologie qualifie de sociaux.

Sous cet angle «  sociétal  », la démarche biomimétique n’est pas intrinsèquement durable. Une forme de veille ou de vigilance s’impose, ce qui n’exclut pas l’imitation de ce que ces organisations complexes ont de meilleur, comme leur capacité à optimiser les échanges d’informations.

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D- DURABILITÉ ECONOMIQUE ET SOCIALE :

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Par ailleurs, une innovation ne peut présenter un caractère réellement durable que si elle se situe dans une démarche globale intégrant, outre les aspects environnementaux, la dimension économique et la préoccupation sociale. Le PNUE rappelle que l’économie verte, telle qu’il la conçoit et telle qu’il souhaite la voir se développer, « se caractérise par un faible taux d’émission de carbone, l’utilisation rationnelle des ressources et l’inclusion sociale. Dans ce type d’économie, la croissance des revenus et de l’emploi doit provenir d’investissements publics et privés qui réduisent les émissions de carbone et la pollution, renforcent l’utilisation rationnelle des ressources et l’efficacité énergétique et empêchent la perte de biodiversité et de services environnementaux. »

L’avis, déjà cité, sur les emplois de la transition écologique, souligne que l’innovation,

« Le progrès technique et sa diffusion peuvent eux-mêmes être source de déstabilisation des stratégies établies et des marchés associés à la transition écologique  ». Il n’est pas exclu qu’ils soient dans un futur plus ou moins proche à l’origine de ruptures technologiques, économiques et sociales qui remettront en cause certaines activités de la transition tout en ouvrant de nouvelles perspectives de développement dans l’industrie et les services.

Le biomimétisme comme plus globalement les innovations liées au développement durable « constituent des opportunités de montée en gamme des produits et services des entreprises, d’acquisition de compétences, d’exportations et donc d’emplois. » La mise en place de « boucles courtes » par les entreprises, optimisant la consommation de matières, valorisant les déchets pour les transformer en sous-produits et en produits dérivés, est ainsi créatrice d’emplois.

Les enjeux de la transition sont à cet égard à la fois qualitatifs et quantitatifs  : «  pour  favoriser les créations d’emplois, il faut faire en sorte que l’appareil de formation initiale et continue accompagne la transformation des activités ».

 

Remarque : Un autre détournement possible du biomimétisme consiste aussi en la pratique du "Greenwashing", cette propension des services marketing à qualifier tout et n'importe quoi de "bio-inspiré" pour mieux vendre un produit. C’est le cas des produits étant présentés comme «biomimétiques » à des fins commerciales (ex : moquettes imitant les motifs aléatoire du sol des forets).

 

De plus, la notion de coopération présuppose une forme de concertation de la part des différents acteurs, découlant souvent d’un volontarisme politique ou économique. Pour profiter de la dimension locale, la complémentarité des activités est nécessaire. De même, l’imitation des performances des structures des organismes vivants nécessite de trouver les matériaux et les architectures adéquates, dont les clefs ne sont pas seulement dans la simple observation de la nature. Par conséquent, les coûts impliqués par la recherche supplémentaire que demande la démarche du biomimétisme n’est pas supportable dans tous les cas, notamment dans les cas d’urgence sociale.

 

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